samedi 19 mars 2011

Prendre la route


Quand j'étais petite, j'ai plusieurs fait mon balluchon pour partir.
Je mettais dans une sacoche en jean que je m'étais faite: un sandwich à la confiture, un carnet et un crayon, mon canif, mes objets les plus précieux enfermés dans une petite boîte en plastique, et le livre que je lisais à ce moment précis. Je crois que je n'ai jamais songé à prendre un vêtement de rechange ou à boire.
Une fois équipée, je montais bien haut mon col d'anorak, j'enfilais mes bottes ou mes pataugas, et je partais d'un pas décidé à l'aventure. Je ne disais pas au revoir, je ne prévenais personne, je partais sans me retourner. On ne me reverrait pas de sitôt, et ce serait bien fait pour eux ! Je pouvais vivre sans eux, et ils en seraient les plus malheureux, c'était certain !

Je montais vers le haut du pays à travers champs, cueillais des noisettes ou des carottes sauvages au passage, saluais les vaches que je ne verrais bientôt plus, et je filais vers ma liberté. Sur le plateau, derrière la maison, des champs immenses s'étendaient, labourés, semés, poussés, selon la saison de ma fugue. Je longeais les bordures et partais vers l'horizon le plus dégagé, loin là-bas.

Et puis après quelque temps, les limites de mon territoire connu s'estompaient et laissaient place à des champs et des reliefs dont j'ignorais tout, des zones de bois que je n'osais traverser, ne sachant ce qui s'y cachait. Le jour commençait à décliner, mon pas se ralentissait peu à peu, je flânais plus que je n'avançais, et invariablement, j'entamais une grande courbe qui finissait par me ramener vers le village.
Revenue aux abords des fermes, fatiguée par ma longue marche, je mangeais mon sandwich, s'il n'avait pas déjà été englouti dès le premier quart d'heure, et puis je rentrais à la maison. Je laissais mes chaussures crottées au sous-sol, et je montais, secrètement penaude d'être de retour, un peu inquiète de ce qu'on me dirait en me voyant rentrer, et finalement vexée que personne n'ait remarqué ma longue absence.

Une si longue absence. Un après-midi d'enfant.
Une vie entière quand on a 9 ans.

5 commentaires:

thenelaware a dit…

sauvage, la petite Arya sous-mes-pieds qui partait ainsi, les narines frémissantes du parfum de l'aventure et des senteurs de saison !
Finalement, partir puis peu à peu entamer un lent mouvement circulaire qui nous ramène en douceur à la maison, n'est-ce pas ce que nous faisons tout au long de notre vie ? plus qu'une borne, juste une, la dernière borne...
superbe texte, Kino !

Toktokada a dit…

Ah ma Cécile, je te reconnais tant déjà enfant !! C'est très beau ! Ma petite maman près de moi pense aussi la même chose.

Kinobiok a dit…

> Nel, peut-être en effet que tu as raison sur cette grande courbe qui tend à nous ramener chez nous... quel que soit et où que soit ce chez nous!
> Toktok, je suis très touchée ! Et touchée aussi d'avoir les pensées de ta maman !

NicoFX a dit…

Tu aurais dû aller plus loin, on se serait sûrement croisé et on se serait partager nos goûters!!. Moi aussi j'ai plusieurs fois tenté des échappées d'une demi journée que tu prévois pour le lendemain après une mauvaise note à devoir annoncer à tes parents. Dans ces cas là, tu te dis que quand ils vont te retrouver, ils seront trop content qu'il ne te soit rien arrivé et ta sale note passera comme une lettre à la poste... En tout cas tu écris très bien. C'est tellement agréable de partager ce genre de souvenirs .

Kinobiok a dit…

Merci Nico ! haha, je nous vois bien en train de vagabonder dans les prés en râlant !