
Quand j'étais petite, j'ai plusieurs fait mon balluchon pour partir.
Je mettais dans une sacoche en jean que je m'étais faite: un sandwich à la confiture, un carnet et un crayon, mon canif, mes objets les plus précieux enfermés dans une petite boîte en plastique, et le livre que je lisais à ce moment précis. Je crois que je n'ai jamais songé à prendre un vêtement de rechange ou à boire.
Une fois équipée, je montais bien haut mon col d'anorak, j'enfilais mes bottes ou mes pataugas, et je partais d'un pas décidé à l'aventure. Je ne disais pas au revoir, je ne prévenais personne, je partais sans me retourner. On ne me reverrait pas de sitôt, et ce serait bien fait pour eux ! Je pouvais vivre sans eux, et ils en seraient les plus malheureux, c'était certain !
Je montais vers le haut du pays à travers champs, cueillais des noisettes ou des carottes sauvages au passage, saluais les vaches que je ne verrais bientôt plus, et je filais vers ma liberté. Sur le plateau, derrière la maison, des champs immenses s'étendaient, labourés, semés, poussés, selon la saison de ma fugue. Je longeais les bordures et partais vers l'horizon le plus dégagé, loin là-bas.
Et puis après quelque temps, les limites de mon territoire connu s'estompaient et laissaient place à des champs et des reliefs dont j'ignorais tout, des zones de bois que je n'osais traverser, ne sachant ce qui s'y cachait. Le jour commençait à décliner, mon pas se ralentissait peu à peu, je flânais plus que je n'avançais, et invariablement, j'entamais une grande courbe qui finissait par me ramener vers le village.
Revenue aux abords des fermes, fatiguée par ma longue marche, je mangeais mon sandwich, s'il n'avait pas déjà été englouti dès le premier quart d'heure, et puis je rentrais à la maison. Je laissais mes chaussures crottées au sous-sol, et je montais, secrètement penaude d'être de retour, un peu inquiète de ce qu'on me dirait en me voyant rentrer, et finalement vexée que personne n'ait remarqué ma longue absence.
Une si longue absence. Un après-midi d'enfant.
Une vie entière quand on a 9 ans.